« L’ÉTRANGLEUR DE BOSTON » est un des sommets de l’œuvre éclectique de Richard Fleischer. Basé sur un faits-divers qui terrorisa l’Amérique de JFK, le film esquive tous les pièges du polar et du mélodrame morbide à sensation, en prenant garde de toujours situer l’action dans son époque. Car Albert DeSalvo, sous la caméra froide et clinique de Fleischer n’est que le fruit de ce début des sixties. Le voir assister en direct devant sa télé à l’assassinat du président, n’a évidemment rien d’anecdotique.
Le réalisateur utilise le ‘split-screen’ en pionnier, mais avec parcimonie. Il se sert de toutes les ressources du format CinémaScope, multiplie les cadrages bizarres, les clairs-obscurs. Son film grouille de personnages secondaires, on sent constamment l’impact des meurtres sur la population à travers la multiplicité de points de vue. En fait, le serial killer n’apparaît qu’au bout d’une heure de film, ce qui est très culotté, vu que c'est la tête d’affiche Tony Curtis qui l’incarne. À contremploi radical, celui-ci affublé d’un faux-nez d’abord distractif, mais qui le rend assez méconnaissable, a choisi de ne pas faire de « grand numéro d’acteur ». Au contraire, l’air hagard, comme englué dans un cloaque intérieur, il joue DeSalvo à contretemps, ne lui apporte aucune humanité, aucune émotion. Il donne seulement à voir. C'est incontestablement son plus beau travail de comédien. Face à lui, Henry Fonda dont le charisme est sciemment éteint par un look de vieux professeur psychorigide, s’efface derrière son personnage avec une humilité de grand acteur. Leur dernier face à face, qui s’éternise dans un décor blanc, jusqu'au malaise, est un grand moment.
George Kennedy est excellent en flic patient et on aperçoit le temps de courtes séquences, des pointures comme William Hickey (génial en pervers geignard), Jeanne Cooper, James Brolin et Sally Kellerman en victime survivante.
À l’heure où les serial killers ont été banalisés par le cinéma U.S., il est passionnant de revoir ce film qui inaugura le sous-genre.
Le parti-pris de mise en scène permet également de constater à quel point le monde a changé en quatre décennies : pas d’ordinateur, pas de portable, pas d’ADN, l’enquête policière est un travail ingrat de terrain où la chance joue un rôle essentiel. À ce point de vue, « L’ÉTRANGLEUR DE BOSTON » devient aussi un film historique.