Plusieurs choses placent « MORT D’UN POURRI » au-dessus du lot dans la filmo du Delon des seventies : le scénario policier sous-tendu d’un discours au vitriol sur les mœurs politiques et un casting d’une incroyable richesse dans lequel l’acteur-producteur s’intègre comme simple protagoniste, sans être le seul et unique centre d’intérêt.
Dévastateur, nihiliste, le dialogue de Michel Audiard fonce tête baissée dans le « tous pourris », mais certaines envolées sont époustouflantes d’aigre lucidité et de nombreuses répliques prennent aujourd'hui une troublante résonnance. L’aspect ‘polar’ lui, est très bien soutenu par un « mcguffin » simple et efficace : un journal contenant des preuves contre des élus corrompus. Le reste n’est qu’une course-poursuite bien filmée par Georges Lautner, émaillée de face à faces savoureux entre le héros intègre (enfin… tout est relatif) et la crème de la saloperie des hautes sphères politiciennes et affairistes.
Mais ce qui séduit le plus dans ce film, c'est encore la relation Maurice Ronet-Alain Delon. Bouclant un rapport professionnel entamé dans « PLEIN SOLEIL », poursuivi dans « LES CENTURIONS » et « LA PISCINE », les deux comédiens se retrouvent une dernière fois. Des photos les montrent d'ailleurs dans des poses tirées de ces trois films, cristallisant leur passé commun. À nouveau, c'est Ronet qui incarne le dominant, le tireur de ficelles, le salaud flamboyant, le cynique charismatique, alors que Delon s’efface étrangement et joue les seconds. Fascinante relation qu’on a vue évoluer de film en film sur deux décades. Ronet a beau disparaître au bout d’une demi-heure, il laisse l’impression d’avoir été la tête d’affiche de « MORT D’UN POURRI ».
Autour des deux amis-Némésis, tous les seconds rôles sont tenus par des pointures comme Jean Bouise, Julien Guiomar, Michel Aumont, Daniel Ceccaldi (particulièrement savoureux), les personnages de femmes sont écrits avec une misogynie totale, typique de son époque : des salopes âpres au gain, des fiancées soumises ou des demoiselles en détresse. La femme de Ronet est d'ailleurs jouée par Stéphane Audran, reformant ainsi un couple chabrolien immédiatement crédible.
La cerise sur le gâteau est bien sûr la prestation inattendue de Klaus Kinski. Permanenté, efféminé, mielleux, il campe un « intermédiaire » de haut-vol. Sa grande scène dans le château à la fin du film est sidérante. Il faut l’avoir entendu dire de l’Audiard ! Il a les répliques les plus incendiaires, les plus violemment cyniques. Et quand il dit à un ministre : « Vous êtes une larve… Un étron », on frise l’extase.
Un peu trop long, parsemé de cascades en voiture d’un autre âge, trop esclave des « bons mots » à l’emporte-pièce de l’auteur, « MORT D’UN POURRI » n’en a pas moins étonnamment bien vieilli. Et qu’on soit d'accord ou non avec le pamphlet au lance-flammes d’Audiard, force est d’admettre que le jeu de massacre est amusant à sa façon.
Post publié en juin 2011, remis en actualité en hommage à Georges Lautner, décédé à l'âge de 87 ans. RIP.