La légende de Wyatt Earp et du duel à OK-Corral a depuis si longtemps supplanté la réalité, que John Ford n’a eu qu’à reprendre quelques évènements, les remodeler selon sa sensibilité, leur donner une logique, pour que « LA POURSUITE INFERNALE » fasse définitivement oublier ce faits-divers somme toute banal et le transcende en une geste de l'Ouest de proportion mythologique.
Avant toute chose, le film est le portrait d’un homme. Mais un Homme avec un ‘H’ majuscule : un honnête homme, humble, sûr de lui, proche de sa famille, courageux et calme. Earp est jeune, mais il a la sagesse d’un patriarche et comme son père probablement, aime à se balancer sur un rocking chair en regardant sa ville s’éveiller. Il aime aussi aller chez le barbier et se faire beau. Le seul moment où on le voit démuni, c'est devant un sentiment qu'il ignorait jusqu'ici : l’amour. « Mac… » demande-t-il au vieux barman, « As-tu déjà été amoureux ? », « J'ai été barman toute ma vie », répond Mac dans une des plus jolies répliques du film.
Le scénario se concentre sur le comportement de Wyatt Earp, sur ses réactions, quitte à délaisser complètement l’intrigue, autrement dit l’enquête pour confondre les Clanton. Ce qui intéresse Ford, c'est de fantasmer cet homme de l'Ouest, tel qu'il n’a certainement jamais existé, mais que tout le monde aurait rêvé d’avoir comme aïeul. Le choix d’Henry Fonda est un des atouts principaux du réalisateur. Digne, simple, un peu raide, l’acteur investit son personnage, le rendant à la fois extrêmement humain et quasi-métaphorique. Toute la séquence de l’inauguration de l’Église, la marche de Earp au bras de la jolie Clementine et leur danse sur le plancher de bois, serre inexplicablement la gorge par sa pudeur et l’espoir qu'il porte. Un morceau de cinéma apparemment anodin, mais qui pourrait symboliser toute l’œuvre de John Ford.
L’épais Victor Mature est un curieux choix pour incarner le maladif Holliday, mais il s’en sort très bien. Au sein d’un cast d’ensemble formidable, c'est Walter Brennan qui étonne le plus en chef de clan faussement gâteux, fourbe et cruel. Un splendide contremploi !
Il faudrait tout citer dans « LA POURSUITE INFERNALE » (quel curieux titre français, tout de même !), de la photo en clairs-obscurs parfois proche du ‘film noir’, aux cadrages impeccables, en passant par la richesse laconique du dialogue (« M’ame… I sure like that name… Clementine »).
C'est évidemment un chef-d’œuvre du western, mais surtout du cinéma tout court. Et pour paraphraser l’affiche de « JUGE ET HORS-LA-LOI » : « Si ça ne s’est pas passé comme ça… Eh bien, ça aurait dû ! ».