Quand on lui remit son Oscar pour « CENT DOLLARS POUR UN SHÉRIF », John Wayne déclara avec humour que s’il avait su, il se serait mis un bandeau sur l’œil plus tôt. Les critiques furent généralement de cet avis, affirmant qu'il ne faisait dans ce film que sa routine habituelle. Rien n’est plus faux. Dans la forme comme dans le fond, d'ailleurs.
Rooster Cogburn n’a rien d’un héros « fordien » ou même « hawksien », ces ‘mensch’ de l'Ouest bourrus, taiseux et incorruptibles qui ont forgé l’image du ‘Duke’. C'est un ivrogne, un ancien hors-la-loi, un tueur sans pitié (il tire même dans le dos et sans sommation !), un bavard impénitent. Wayne ne cabotine pas vraiment dans ce rôle, c'est autre chose : il pousse ses maniérismes aux extrêmes limites de la parodie sans y sombrer totalement, accepte de se laisser bousculer – et parfois voler la vedette – par une gamine, de se ridiculiser, pour renaître de ses cendres à la fin dans un « tournoi » à un contre quatre, entré dans la légende du western.
« CENT DOLLARS POUR UN SHÉRIF » est un film quasi-parfait, au dialogue finement ciselé, oscillant constamment entre l’humour et l’émotion. Certaines scènes comme les échanges entre Mattie et le vendeur de chevaux (savoureux Strother Martin) sont des bijoux en soi. Et Hathaway profite pleinement de ses deux heures de métrage en prenant le temps d’installer ses personnages, de développer les enjeux. Sans parler de la photo de Lucien Ballard, sans doute une des plus belles de sa longue carrière.
La jeune Kim Darby assume crânement ce rôle d’ado irritante et donneuse de leçon et tient tête à Wayne du début à la fin. La séquence où pendant la nuit, Rooster raconte sa vie à Mattie méritait à elle seule l’Oscar. Et pas seulement pour Wayne ! Avec sa bedaine, sa diction reconnaissable entre mille, ses mimiques cocasses, Wayne est un régal de chaque instant. Ainsi la scène où il descend un rat après lui avoir sommé de se rendre, est-elle une vraie prouesse d’acteur. Le cast de seconds rôles est superbe : Robert Duvall donne une profondeur inattendue à son rôle de bandit balafré. Dennis Hopper apparaît dans une séquence en voyou blessé et il ne fait pas dans la sobriété bressonienne. On reconnaît le temps de quelques plans des visages familiers de l’entourage du ‘Duke’.
À la sortie du remake des frères Coen, le film d’Hathaway a souvent été dénigré, comme s’il s’agissait d’une vieillerie obsolète. Esthétiquement, c'est déjà loin d’en être une (surtout en Blu-ray) et scénaristiquement, on trouve des éléments très nouveaux pour l’époque, comme cette fin douce-amère qui laisse sur une note assez poignante ou plus généralement, ce portrait de l’héroïne, qui ne cède jamais au sentimentalisme hollywoodien d’usage. Casse-pied elle est, casse-pied elle reste jusqu'au bout. Même si entretemps on a appris à l’aimer à travers les yeux (enfin, l’œil !) du vieux ‘Rooster’.
C'est définitivement un des plus beaux films d’Henry Hathaway et une des grandes réussites de John Wayne.