« Cela parlait à l’origine de deux homosexuels, un tueur de la mafia et un jeune apprenti qui devient son ami intime, apprend tout de lui et finit par le tuer. L’élément homosexuel fut éliminé. Si Charlie avait su qu'il y en avait un, il n’aurait pas fait le film. Ce n’était pas un libéral », écrit le réalisateur Michael Winner dans ses mémoires « WINNER TAKES ALL ».
« LE FLINGUEUR » demeure un des meilleurs films de Charles Bronson en tête d’affiche. Un thriller cérébral et pervers, situé dans un univers totalement irréaliste de mafiosi esthètes, d’assassins amateurs de musique classique, collectionneurs de gravures de Jérôme Bosch et pratiquant le karaté. Arthur Bishop est un des rôles les plus archétypiques de l’acteur : un tueur à gages affilié à la mafia de L.A., un vieux ‘pro’ méticuleux et solitaire, vivant en marge de la société et qui exécute sans ciller jusqu'à son plus vieil ami incarné par Keenan Wynn. L’autre facette de cet ange de la mort affûté comme une lame, c'est qu'il est insomniaque, se bourre de pilules et stresse parfois tellement, qu'il perd connaissance dans des lieux publics.
L’intérêt du film vient de la relation bizarre s’établissant entre Bishop et un jeune homme sans scrupule qu'il va former pour en faire son assistant. Malgré ce que disait Winner, le sous-texte gay n’a pas totalement disparu et demeure bien présent en filigrane, même s’il est implicite. Le choix même de Jan-Michael Vincent sorte de top model blond et musculeux laisse planer une flagrante ambiguïté. Surtout quand le jeune homme vient s’installer sous le même toit que son mentor.
Le film est une succession de morceaux de bravoure, de « contrats » spectaculaires avec poursuites et fusillades ad hoc, mais l’ambiance crépusculaire, la musique sourde et stressante, finissent par créer un style très singulier, à la limite de l’onirisme.
Jill Ireland n’apparaît que dans une séquence, en prostituée qui écrit des lettres d’amour enflammées à Bishop afin de l’exciter et demande un bonus financier, pour la difficulté de l’exercice ! Un moment d’un total cynisme, qui fait d’abord sourire avant de laisser sur un vrai malaise. Malaise que l’on retrouve dans la comparaison entre les deux générations d’assassins : si Bishop est un homme cultivé et s’efforçant de justifier son choix de vie par de grandes théories (« Tout le monde tue… L’Armée, le Gouvernement… »), Steve ne prend pas cette peine. Il adore tuer et voir souffrir, point final. Signe des temps qui changent. Pas forcément pour le mieux...
« LE FLINGUEUR » est une œuvre à part, à peine abîmée par le manque de rigueur de Winner, qui une fois encore abuse du zoom et d’effets de montage épileptiques. Mais le matériau est tellement original, que le film n’a pratiquement pas vieilli et se laisse encore regarder avec la même fascination qu'il y a quarante ans.
SECONDE VISION :
L’avantage de certains remakes calamiteux comme « LE FLINGUEUR » avec Jason Statham, c'est qu'ils donnent envie de vérifier qu’on n’avait pas enjolivé l’original dans nos souvenirs. Bonne nouvelle : concernant « LE FLINGUEUR » de Michael Winner, ce n’est pas le cas du tout ! Il s’est même bonifié avec les années. Le style voyant du réalisateur, son montage ultra-cut, sont plus d’actualité que jamais. « Vivre en dehors », c'est le credo d’Arthur Bishop, un tueur à gages au service de la mafia de L.A. En dehors de la société, du système et même du Milieu. Avoir ses propres Tables de la Loi et être seul. Jusqu'à la névrose, jusqu'à la neurasthénie. Jusqu'à tomber dans les pommes au moindre stress.
Car pour être une machine à tuer, Bishop n’en est pas moins un être humain et le scénario de Lewis John Carlino laisse filtrer de petites indications sur son passé. Ainsi l’anecdote racontée par Keenan Wynn en dit long sur l’enfance malmenée du futur tueur. Et sa non-relation avec les femmes fait froid dans le dos : il paie une call-girl non pas pour des gâteries perverses, mais pour lui écrire des lettres d’amour !
D'ailleurs, le sujet du film est malgré tout une love story. Un peu déviée bien sûr, un tantinet sous-terraine, mais la rencontre entre Bishop et le jeune Steve est filmée comme un coup de foudre. La première chose qu’on voie du garçon sont… ses fesses moulées dans un jeans. Et le premier regard que Bishop pose sur lui est plus qu’ambigu. Le fait que ce soit Charles Bronson qui tienne le rôle rend les choses encore plus confuses et perturbantes. Winner utilise magnifiquement le physique particulier de l’acteur, son visage ridé de vieil Apache et son corps d’athlète, sa voix monocorde dénuée de sentiment, son sourire triste. Comme Walker dans « LE POINT DE NON-RETOUR », Bishop est un mort-vivant, un technicien qui a perdu son âme depuis longtemps et qui n’existe plus qu’à travers son art. Car tuer est bel et bien un art pour lui. Il l’exerce en orfèvre, goûtant davantage le processus que l’acte lui-même. En ce sens, le premier quart-d’heure du film est éblouissant : quinze minutes complètement muettes décrivant l’exécution d’un « contrat » par le menu. À faire réviser le jugement de ceux qui persistent à considérer que toute l’œuvre de Winner est à jeter à la poubelle.
Parfaitement rythmé – excepté une poursuite à moto infernalement longue et ennuyeuse (héritage de « BULLITT ? »), dialogué à minima, d’un cynisme glaçant, « LE FLINGUEUR » reste ludique, intrigant, captivant de bout en bout. Et l’approche « existentielle » adoptée par l’auteur et accentuée par la BO exceptionnelle en font quarante ans après, un véritable classique du polar noir. Merci donc aux copistes de nous avoir poussés à revoir ce petit chef-d’œuvre qu’on peut redécouvrir en Blu-ray dans une belle édition allemande.