Surtout connu pour être l’ultime film d’Humphrey Bogart, « PLUS DURE SERA LA CHUTE » revu aujourd'hui, semble être une œuvre grandement sous-évaluée. Passant pour un film sur la boxe, c'est en fait beaucoup plus que cela. Et si les séquences sur le ring sont admirablement filmées (elles ont clairement influencé Martin Scorsese, jusqu'aux giclures de sueur à chaque coup porté à la face), le propos des auteurs va bien au-delà de la dénonciation des magouilles des gangsters et profiteurs faisant leur beurre autour de pauvres pugilistes-esclaves.
Le film parle d’un homme à l’automne de sa vie, qui vend son âme au Diable, après avoir résisté pendant plusieurs décennies à la tentation. Se retrouvant chômeur, sans un sou, rejeté par son milieu, il va plonger tête la première dans la corruption et la saloperie humaine, jusqu'à ce qu'elles le submergent.
Le film est lourd de symboles, chaque personnage est ‘bigger than life’ : le bon géant venu d’Argentine, incapable de se battre mais propulsé champion représente l’innocence et la jeunesse envolées de Bogie, le manager n’est autre qu’un Satan rondouillard et vorace étranger à tout sentiment humain. L’épouse du héros est bien sûr sa mauvaise conscience qu'il fera taire jusqu'au bout. Enfin – pas tout à fait.
C'est un film âpre, brutal, sans faux-fuyants ni folklore, au moins aussi dur que le fut « NOUS AVONS GAGNÉ CE SOIR » avant lui, mais encore plus incisif et désabusé. C'est avec stupeur que nous voyons Bogart s’enferrer dans la fange et le déni de lui-même et avec un réel soulagement qu’on le verra racheter son âme pour 26.000 $. On n’aime pas voir les légendes foulées au pied ! L’acteur visiblement fatigué et usé, offre une prestation sobre, dénuée de tics, très émouvante. Face à lui, Rod Steiger dans un de ses meilleurs rôles, crève l’écran en pourri d’anthologie. Enjôleur, gueulard, cannibale, il compose un méchant qu’on n’est pas près d’oublier. Jan Sterling apparaît assez peu, mais se montre très crédible en épouse stoïque et digne. Tous les seconds rôles sont parfaitement à leur place.
Le démontage manifestement très documenté des rouages du milieu de la boxe est déjà fascinant en soi, et suffirait à faire de « PLUS DURE SERA LA CHUTE » un grand film. Mais c'est le portrait d’un homme au bord du gouffre qui touche le plus. Le fait que ce soit la dernière apparition de Bogart n’est pas pour rien dans l’émotion que génère cet ultime plan devant sa machine à écrire rédemptrice. Très beau film.