Le premier quart d’heure de « L’AVENTURIER DU RIO GRANDE » pourrait être extrait d’un ‘spaghetti western’ : le gringo mal rasé, taiseux, le petit village texan balayé par le vent de sable, les « tronches » des seconds rôles… Mais nous sommes en 1959 et il s’agit bien d’un western made in U.S.A.
Et d’un grand western, devons-nous ajouter. Étonnant à quel point ce scénario incroyablement dense, grouillant d’évènements, de bascules psychologiques, de coups de théâtre, parvient à tenir en à peine plus de 90 minutes.
Peut-être parce qu’au-delà des péripéties d’un côté de la frontière ou de l’autre, le film n’est au bout du compte que le fascinant portrait d’un homme simple, déchiré entre deux cultures, deux modes de vie, un pauvre type qui a passé son existence à fuir, à tuer sans discuter les ordres, soumis à son ‘patrón’ qui – il s’en rendra compte juste à temps – n’a jamais cessé de le considérer comme un ‘gringo’.
C'est un des très rares rôles de sa longue carrière, que Robert Mitchum a joué sans posture et sans masque. Loin de son emploi habituel de cynique paresseux et bourru, ‘Brady’ est un homme fruste, foncièrement juste, pas spécialement intelligent et même honnête jusqu'à la bêtise. L’acteur s’y montre extrêmement touchant, jusque dans ses rapports avec Julie London, elle aussi remarquable en femme d’officier malheureuse et désabusée. Les deux face à face de Mitchum avec Pedro Armendáriz, jouant son « maître » sont d’une intensité exceptionnelle. Belle brochette de seconds rôles : Charles McGraw excellent en ‘doc’ généreux, Mike Kellin en ‘chicano’ et Gary Merrill en major borné.
Picaresque et partant parfois en tous sens, le scénario soutient pourtant idéalement la mise en scène culottée et incroyablement moderne de Robert Parrish : l’utilisation fréquente d’extrêmes gros-plans sur des visages crasseux, en sueur, le soin maniaque apporté au moindre élément du décor, la précision de la direction d’acteurs, jusqu'au plus modeste figurant (le soldat balafré, complètement muet, véritable figure emblématique de la Mort qui rôde autour de Brady), tout cela annonce évidemment Leone au moins autant que « VERA CRUZ ».
« L’AVENTURIER DU RIO GRANDE » est une œuvre unique et foisonnante, qui nécessite certainement plusieurs visions pour en capter toutes les richesses.
La dernière scène sur la rive du Rio Grande, lourdement chargée de symboles, dégage pourtant une émotion fulgurante, mettant un terme à l’amour fusionnel entre l'homme et son cheval, qui de toute façon appartenait à son passé.
Un grand film.