Produit par l’AIP, firme où œuvrait généralement Roger Corman, « LE MAÎTRE DU MONDE » est une adaptation de deux romans de Jules Verne signée par Richard Matheson, grand nom de la littérature fantastique populaire. Le film n’a certes pas le budget du « 20.000 LIEUX SOUS LES MERS » auquel il fait souvent penser, mais la réalisation dynamique de William Witney, un des rois du ‘serial’ des années 40, lui apporte charme, naïveté et énergie. À condition de fermer les yeux sur d’affligeantes tentatives d’humour, comme ce personnage de cuistot français volubile, (sur)joué par le cabotin Vito Scotti ou sur les grimaces exaspérantes de Henry Hull.
Le rôle de Robur, savant fou survolant le monde à bord de son dirigeable, pour en détruire les armées, échoit à Vincent Price acteur fétiche de Corman et le héros est campé par Charles Bronson. John Strock est un agent du gouvernement U.S., qui est fait prisonnier par Robur en compagnie d'un vieux marchand de canons, de sa fille et du fiancé de celle-ci. Malin et sans scrupule, Strock n’hésite pas à trahir sa parole donnée (« C'est le monde dans lequel nous vivons ! »), à séduire sournoisement la jeune femme et à jouer les manipulateurs. Amoral et déterminé, Bronson annonce les antihéros des sixties à venir (Bond n’apparut sur les écrans que l’année suivante) et trouve un des meilleurs rôles des années d'avant son accès au vedettariat. Avec ses favoris, son tricot rayé, il se crée une silhouette qui semble sortie tout droit d’une BD d’aventures et sort étonnamment vainqueur de ses face à faces avec Price, qui cabotine à outrance. Les deux hommes s’étaient rappelons-le, déjà côtoyés huit ans plus tôt dans le classique « L'HOMME AU MASQUE DE CIRE ».
Bronson livre donc une excellente prestation toute en retenue et en mystère, brouillant un peu plus encore le message déjà ambigu du film. Qui en est le héros positif ? Ce doux rêveur prônant la paix et la fraternité entre les hommes ou ce fabricant d’armes sans état d’âme et cet enquêteur sans foi ni loi ? Strock est surtout mémorable dans la filmo de Bronson, car c'est un de ses rares personnages, dont la qualité première est… l’intelligence !
« LE MAÎTRE DU MONDE » est un film éminemment sympathique par ses aspects fauchés. Les séquences de bataille sont piquées dans d’anciens films à gros budget, les décors évoquent une opérette, mais tout cela participe du charme indéniable de cette œuvrette colorée et foisonnante.
Il fut un moment question qu’AIP mette en chantier une suite aux aventures de Strock, mais le projet fut abandonné après quelques semaines de préparation. Dommage ?