En pleine mouvance de films de ‘vigilantes’ venue des U.S.A., Mario Monicelli décide d’en donner sa propre lecture, sans les artifices du polar et en autopsiant à fond le mythe du « justicier » tant adulé des foules.
« UN BOURGEOIS TOUT PETIT, PETIT » est une pure merveille d’intelligence, de férocité et de noirceur, qui nous prend d’abord gentiment par la main pendant une bonne moitié de son métrage en nous brossant un portrait de petit fonctionnaire borné, Alberto Sordi, qui ne rêve que d’une chose : voir son fiston adoré lui succéder au ministère. Pour cela, il est prêt à tout : lécher toutes les bottes, avaler des couleuvres, devenir franc-maçon si on le lui demande, n'importe quoi pour voir l’héritier suivre ses médiocres traces. Mais un jour, celui-ci prend une balle perdue lors d’un braquage et la vie d’Alberto va basculer.
La seconde moitié du film est d’une noirceur suffocante, atroce, sans une lueur d’espoir. Et si le pauvre père éploré se venge effectivement d’un des voyous de façon assez horrible et détaillée sans pitié pour le spectateur, les auteurs ne nous feront pas l’aumône de nous montrer Sordi en ‘vigilante’. Il le deviendra certainement, mais après le mot ‘FINE’. Pas de vengeance cathartique, pas de fusillades sanglantes, pas « d’entertainment », autrement dit. Pour Monicelli, un justicier ne peut être qu’un pauvre type qui a perdu la raison et n’a trouvé que le meurtre pour combler le grand vide qu’est devenue son existence.
Sordi est absolument magistral, passant de la veulerie comique, de la vantardise ridicule à la pure tragédie. Ce qu'il fait dans la seconde partie du film est probablement ce qu'il a accompli de plus fort dans sa carrière. Face à lui, Shelley Winters est étonnamment crédible en épouse soumise, superstitieuse et finalement catatonique. Et une mention à l’excellent Romolo Valli en supérieur hiérarchique qui passe une bonne partie de son temps à gratter ses pellicules qu'il recueille dans un tiroir de son bureau.
Le grand cinéma italien a (presque) toujours été un savant dosage de comédie satirique aux limites du clownesque et de constat social âpre et sans concession. Ce film dur, cruel et magnifiquement intelligent en est un bel exemple. Une grosse baffe !