Commencé par Fritz Lang, fini par Archie Mayo, « LA PÉNICHE DE L’AMOUR » (que dire de l’affligeant titre français ?) est un produit excessivement bizarre, un télescopage de styles et de cultures qui part en tous sens et finit par trouver une certaine cohérence. Celle du chaos ?
Monté pour lancer la carrière U.S. de Jean Gabin alors exilé aux États-Unis, c'est un mélange de ‘film noir’ sordide et de « réalisme poétique » à la Carné-Prévert, un genre qui fit la gloire de l’acteur français. L’impression est renforcée par un tournage entièrement en studio, aux décors artificiels. Même la séquence de soûlerie au début a été storyboardée par… Salvador Dali !
C'est dire que « LA PÉNICHE DE L’AMOUR » est un drôle d’objet. Gabin – qui se débrouille étonnamment bien en anglais – joue un vagabond alcoolique flanqué d’un immonde maître-chanteur visiblement fou amoureux de lui (Thomas Mitchell à contremploi), qui sauve la vie d’une jeune femme suicidaire. Ils vont s’installer ensemble dans une bicoque et envisager un avenir. Mais la fatalité les poursuit en la personne de Mitchell, bien décidé à gâcher ce bonheur dont il est exclu.
Contre toute attente, Gabin s’intègre parfaitement dans cet univers fabriqué de toutes pièces, trimbalant sa mythologie de ‘loser’ hanté par le passé qui a très bien traversé les continents. Face à lui, Ida Lupino n’a jamais été plus jolie et touchante, laissant deviner le passé d’humiliations de son personnage, sans qu'il ne soit jamais rien précisé. Claude Rains tient un rôle curieux d’ange-gardien malicieux. La séquence où, le jour de son mariage, il explique à Lupino qu'elle doit se comporter comme une prostituée à la maison, pour garder son mari, est complètement hallucinante !
Des images restent gravées dans la mémoire, comme cette confrontation finale sur la jetée plongée dans le brouillard, entre Gabin et Mitchell. Ou cette séquence glauque et malsaine entre le même Mitchell et Lupino, sous les aboiements du chien. « LA PÉNICHE DE L’AMOUR », œuvre oubliée du parcours étonnant de l’acteur français le plus emblématique de l’Histoire, vaut le coup d’œil pour son mélange de genres décomplexé, sa folie rampante et la poésie frelatée qu'il dégage. Une vraie curiosité…