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« UN HOMME EST PASSÉ » est un film sur les retombées. L’épilogue d’une histoire passée qu’on nous raconte, mais qu’on ne verra jamais. L’amitié entre un officier U.S. qui a
perdu un bras sur les champs de bataille et un soldat d’origine japonaise qui lui a sauvé la vie… L’odieux lynchage d’un fermier par des ploucs haineux… Ces deux évènements fondateurs se sont déroulés hors du champ de la caméra. Quand le film commence, il règne d’emblée une ambiance mortifère d’après-tempête.
L'homme qui débarque du train n’est que l’ombre de lui-même : un presque vieillard handicapé. La bourgade de Black Rock elle-même ressemble à un décor de ville-fantôme où errent quelques individus livrés à eux-mêmes qui semblent attendre Godot. Et un inévitable châtiment divin. Par sa seule présence, le visiteur va jeter un pavé dans la mare et réveiller ce passé si enfoui, qu’on n’en verra jamais la moindre image. Même en flash-back, pas même en photo…
Court et ramassé, d’une sèche brutalité, « UN HOMME EST PASSÉ » est un des deux ou trois chefs-d’œuvre de John Sturges.
Au niveau de l’image, c'est une des plus belles démonstrations de maîtrise du format CinémaScope qu'il soit donné de voir : depuis le train filmé pendant le générique-début, jusqu'aux silhouettes savamment alignées sur fond de ciel, en passant par le long corps de Lee Marvin étendu sur le lit d’hôtel de Spencer Tracy, chaque image semble être conçue en fonction d’un dynamisme horizontal.
Le cast est pour beaucoup dans le plaisir toujours renouvelé de revoir ce film : Tracy est vraiment magnifique dans ce personnage affable, d’apparence fragile et vulnérable. Un petit vieux au bras paralysé, au sourire débonnaire, qu’on verra démolir un homme en quelques passes de karaté, de façon quasi-surnaturelle. Face à lui, Robert Ryan campe un méchant calme et intelligent, qu’on devine capable des pires excès de violence. Un beau rôle de corrupteur tyrannique régnant en maître sur un royaume dérisoire de baraques vides et de poussière. Marvin et Ernest Borgnine sont inénarrables en brutes épaisses. Walter Brennan est un vieux médecin mollement révolté et la piquante Anne Francis tient un rôle ambigu.
« UN HOMME EST PASSÉ » est une œuvre quasi-parfaite, bâtie de façon symétrique. Le train s'arrête pour la première fois à Black Rock depuis des années. Quand il repassera, la ville et ses habitants ne seront plus les mêmes et le passé pourra enfin être enterré avec les péchés générés par la guerre. Une guerre déjà lointaine mais dont les échos résonnent encore dans les belles montagnes d’un Far West qui à présent et par la faute de quelques hommes, n’a plus rien d’innocent ou héroïque.
Si on peut trouver un défaut à ce grand film, ce sera peut-être la BO d’André Prévin dont l’omniprésence et le rythme martial finissent par soûler. Mais c'est un petit prix à payer pour profiter de cette œuvre brassant les grands mythes américains sans complaisance, avec même des accès de lucidité masochiste.
À NOTER : l’affiche reproduite ici provient d’une réédition à la fin des années 60 et mettant Lee Marvin en avant, après son succès dans «12 SALOPARDS ». Son portrait est d'ailleurs inspiré d’une photo du film d’Aldrich.