On peut ne pas être client de l’œuvre chaotique et brouillonne d’Abel Ferrara et béer d’admiration pour son « KING OF NEW YORK », un concentré de polar urbain, dont chaque revision révèle les ambiguïtés et les richesses.
Dès les premières séquences, le film mélange tout, fusionne les univers, mixe les milieux, télescope les classes sociales, les ethnies. Les magistrats, les journalistes, les politiciens dînent avec les gangsters en toute familiarité, les filles sont faciles, la cocaïne coule à flots. Le caïd ‘Frank White’ n’a qu’un rêve : bâtir un hôpital pour les enfants déshérités, alors que les flics impuissants et frustrés se transforment en ‘vigilantes’ dont les méthodes sont dignes des escadrons de la mort. Et tant pis pour les dommages collatéraux ! Tout est brassé, inversé, déflagré, au rythme de la BO syncopée et des éruptions volcaniques de violence.
Enfer bleuté d’acier et de verre où se reflètent des lumières dorées, le New York de Ferrara ne ressemble pas à celui de Woody Allen, ni même à celui de Scorsese. Le film explore des zones obscures, des no man’s land rarement filmés où s’ébattent des grands fauves barbares, quel que soit le côté de la loi où ils se trouvent. Mais avant tout, « KING OF NEW YORK » comme l’indique son titre, est le portrait saisissant d’un gangster sortant de prison et reprenant possession de son territoire. Dès sa première apparition, Frank White apparaît comme un mort-vivant. Ou plutôt comme un « non-mort » : un vampire. Ce n’est certainement pas par hasard que Ferrara insère un extrait de « NOSFERATU » dans une scène. Le choix de Christopher Walken pour l’incarner est évidemment plus que judicieux. Blafard, les yeux morts, éteints, passant en une fraction de seconde de la jovialité juvénile à la brutalité la plus choquante, les cheveux dressés sur la tête, comme s’il avait survécu à la chaise électrique, Walken trouve un de ses plus grands rôles. Il électrise l’écran dès qu'il apparaît, en sachant rester totalement imprévisible du début à la fin, en parvenant à être fascinant sans jamais se montrer attachant ou susciter l’empathie. White est une vermine… Parmi les vermines. Mais le jeu de l’acteur comme possédé, un pied dans la tombe, laisse deviner l’être humain qu'il a dû être un jour, qu'il aurait pu être.
Regrettons seulement – et c'est un petit regret ! – que trop de dialogues soient improvisés et manquent de substance, car certaines séquences s’en trouvent appauvries.
Les seconds rôles sont formidables : de David Caruso en jeune poulet enragé et haineux à Larry Fishburne en ‘gangsta’ ingérable, en passant par Wesley Snipes, Steve Buscemi et l’excellent Victor Argo dans un rôle de flic besogneux et taiseux, discret Némésis de White.
Chef-d’œuvre nocturne, cauchemardesque, « KING OF NEW YORK » est tellement primitif dans sa narration, si nihiliste et j’usquauboutiste dans son traitement, que quelques gros-plans du visage de Walken les yeux levés vers le ciel noir, laissent imaginer que tout le film n’est que le rêve/fantasme éveillé d’un homme en fait resté dans sa cellule.
Car comme tous les grands films uniques en leur genre, celui-ci laisse la porte ouverte à toutes les interprétations.