L’édition en Blu-ray de la version intégrale et restaurée de « LE QUAI DES BRUMES » va-t-elle permettre un regard nouveau, voire une réévaluation du film sept décennies après sa sortie en salles ?
Œuvre importante historiquement, le film fait partie de ces chefs-d’œuvre vénérés et intouchables qu'il serait fort mal élevé de critiquer voire de ne pas aimer. Heureusement – pour une fois ! – « WWW » ne trouve rien à redire à l’aura qui entoure « LE QUAI DES BRUMES » et ne va pas s’amuser à jouer les iconoclastes retardataires.
C'est indéniablement un beau film. Beau parce qu’étrange, poisseux comme un cauchemar, désespéré à l’extrême, poétique bien sûr, même si le dialogue appuie un peu trop ostensiblement sur cette corde-là. Marcel Carné est beaucoup plus doué pour décrire les laissés-pour-compte lyriques, les crapules visqueuses que pour filmer les scènes d’amour. C'était également le défaut de « HÔTEL DU NORD ».
Les répliques entre le beau déserteur et la jeune fille abusée (« T’as d’beaux yeux, tu sais ») font partie du patrimoine cinématographique hexagonal, mais pour être honnête, la plupart de leurs scènes sont bavardes, répétitives, larmoyantes. Que n’ont-elles le relief des moments anthologiques de Michel Simon, abject pervers pépère mélomane ou de Pierre Brasseur, prodigieux en demi-sel efféminé et fielleux !
Jean Gabin a une présence inimitable, à la fois terre-à-terre et héroïque. Il balance quelques baffes mémorables à Brasseur ! Michèle Morgan a la fraîcheur des débutantes, un peu comme Lauren Bacall dans « LE PORT DE L’ANGOISSE » (tiens, encore un port !).
L’aspect artificiel des décors, la présence constante de la mort qui plane au-dessus de tous les personnages, ce chien certes très mignon, mais qui finit par symboliser la poisse qui suit partout le pauvre ‘Jean’, l’ambiance suffocante de no man’s land, finissent par laisser imaginer un sous-texte fantastique au film. Comme si le soldat avait été tué au combat et qu'il errait à présent comme une âme en peine dans ce Havre improbable.