Pourquoi « FARGO » est-il un chef-d’œuvre ? Pourquoi, alors qu'il raconte une série de meurtres perpétrés par une bande d’imbéciles dans un coin paumé du Minnesota, atteint-il à l’universel de la fable ? Et pourquoi y revient-on régulièrement, en y trouvant toujours quelque chose de nouveau à découvrir ?
Mystère. Mais c'est un fait. Dans ce trou perdu, les « locaux » sont tous extrêmement courtois, tout le monde parle en phrases toutes faites (« Oh, Yah ? », « Super ! », « Thanks a bunch »), ce qui ne les empêche pas – au contraire ? – d’être pour la plupart de dangereux psychopathes, des abrutis décervelés. Même l’héroïne, ‘Marge’, une femme-flic enceinte jusqu'aux yeux n’est pas bien futée, mais au moins possède-t-elle un solide bon sens qui la place au-dessus de la mêlée.
Dans cet univers enneigé ou les habitants ont tous des noms à consonance suédois, les frères Coen réinventent le polar. D’une intrigue toute bête (un petit escroc à deux balles organise le faux kidnapping de sa femme pour soutirer de l’argent à son riche beau-père), ils dérapent dans le surréalisme. Ils se permettent tout : des séquences franchement ‘gore’ qui parviennent à faire rire, des digressions à peine croyables comme ce déjeuner de Marge avec un ex-copain de lycée japonais mythomane, qui ne sert à rien dans le scénario (à part nous réjouir) et tout fonctionne à 200%. On contemple les protagonistes comme de vilains insectes dans un bocal, mais la suprême élégance des auteurs est de ne pas les rendre odieux ou répugnants. Ils sont comme ils sont… Comme nous sommes ?
Le film doit beaucoup à son casting. D'ailleurs, la plupart des comédiens y trouvent leur meilleur rôle : Frances McDormand en état de grâce, crée une Marge inoubliable, placide, déterminée, pas compliquée. Elle fait juste son job avant d’aller rejoindre son gros mari chauve à la maison et se bâfrer en attendant l’accouchement. Grand personnage ! William H. Macy est fabuleux d’incompétence, de poisse, d’obstination suicidaire, à mourir de rire. Steve Buscemi et Peter Stormare, grandioses, jouent les kidnappeurs à moitié dégénérés. Jusqu'aux plus petits personnages (les deux « pouffes » interrogées par Marge), c'est un délice de chaque instant.
Il faudrait parler aussi de la BO lancinante et anxiogène, qui fait souvent contrepoint avec les images, de la virtuosité de la mise en scène dans des séquences comme le triple meurtre du début. C'est, avec « BARTON FINK » et « THE BIG LEBOWSKI », la grande réussite des deux frères. Oh, yah ? Yah, yah…