Si le personnage fascine encore, des décennies après sa mort, et malgré une œuvre étonnamment peu abondante, c'est par les seules contradictions de son caractère. Ancien assistant, scénariste estimé, Sam Peckinpah était un autodestructeur notoire, un fauteur de troubles suicidaire, qui n’hésitait jamais à aller au conflit avec ses producteurs, qu'il considérait systématiquement comme des ennemis. Ses proches collaborateurs laissaient même entendre qu'il avait un besoin vital de ces affrontements quotidiens, pour fonctionner, et parvenir à créer.
Dès ses premiers films, Peckinpah a installé les bases de son univers, un monde en décomposition, où toute frontière entre Bien et Mal a disparu depuis longtemps, une terre désolée où les héros, atteint par la limite d’âge n’ont pas d’autre choix que vendre leur âme au diable, ou aller sciemment au devant de la mort. On ne retient généralement que la violence, dans l’œuvre de l’auteur-réalisateur, et il est vrai qu'il a imposé de nouveaux standards en la matière : chez Peckinpah, une balle fait des dégâts, elle traverse les corps de part en part, dans des éclaboussures de sang.
Sa façon d’utiliser le ralenti, de monter ses séquences en un tricotage syncopé et chaotique, influence encore aujourd'hui tous les films d’action. Mais il y avait chez « Bloody Sam », une authenticité, une sensation de vécu, un rendu « sale » de l’image, que personne ou presque n’a jamais retrouvé. Il n’est que de voir certains « hommages » comme « EXTRÊME PRÉJUDICE », pour constater le fossé existant entre l’original et ses imitateurs dévots.
À ses débuts, Peckinpah a écrit une dizaine d’épisodes de « GUNSMOKE », trois « ZANE GREY THEATER » (qu'il réalise lui-même), six « L'HOMME À LA CARABINE », et il créa une série « THE WESTERNER », extrêmement personnelle, mais qui ne dura qu’une saison.
Au cinéma, il débute avec « NEW MEXICO », production déjà conflictuelle, qui aboutit néanmoins à un western original, grouillant d’embryons de thèmes, qu’on retrouvera dans toute l’œuvre de Peckinpah.
« COUPS DE FEU DANS LA SIERRA », est unanimement accueilli comme un petit chef-d’œuvre, et confirme l’intérêt du réalisateur, pour les héros en fin de parcours, et les derniers soubresauts d’une ère. « MAJOR DUNDEE » est une catastrophe : le tournage est cauchemardesque, le film complètement remonté par le producteur, et Peckinpah faillit être « grillé » à vie. Une version plus proche de sa vision originelle sortira, quarante ans plus tard.
Heureusement, quatre ans après cette Bérézina, « LA HORDE SAUVAGE » révolutionne le western (et le cinéma en général, d'ailleurs), et installe définitivement Sam Peckinpah, comme un auteur controversé mais commercialement viable.
Il enchaîne avec le paisible et élégiaque « UN NOMMÉ CABLE HOGUE », qui déçoit bien évidemment ses admirateurs. Toujours ce réflexe suicidaire…
« JUNIOR BONNER, LE DERNIER BAGARREUR » se passe dans l'Ouest moderne, et retrouve ce ton nostalgique et contemplatif. « PAT GARRETT & BILLY THE KID », malgré une gestation mouvementée, comme d'habitude, est probablement son chef-d’œuvre : un western noir et psychanalytique, d’une amertume inouïe, d’une lucidité cruelle, qui démonte jusqu'à la notion de héros. Peckinpah y apparaît en personne, dans un rôle de croque-morts, pour dire ses quatre vérités à Garrett, qui n’en a nul besoin, puisqu’il se dégoûte lui-même.
Ce sera son ultime western, même si « « APPORTEZ-MOI LA TÊTE D’ALFREDO GARCIA » » situé dans les années 70, possède tous les attributs du genre, et sera d'ailleurs son chant du cygne.
Alcoolique, roublard, capable du meilleur comme du pire, Sam Peckinpah qui faisait vingt ans de plus que son âge, quand il mourut, a laissé une empreinte indélébile dans l’Histoire du 7ème Art.